Saint-Jacques et les jours suivants…

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… Lors d’une longue traversée en train, j’ai commencé à défaire, avec le cœur comme un poing, tous ces kms que j’ai faits en marchant. Chaque village que nous passons, chaque fois que je vois un chemin, je me demande si je suis passée par là.

… Au fond, les moulins de vent continuent de faire tourner leurs ailes, sans arrêt. Le ciel continue d’avoir des traînées de « jusqu’à l’infini et au-delà »… et moi, assise ici, je dé-marche…

Les jours à Saint-Jacques sont passés en un clin d’oeil et ont été un présent progressif de rencontres et de larmes de joie dont la devise était « tu as réussi ! » L’Albariño et les larmes ont plu dans une proportion équivalente, et Saint-Jacques semblait s’être fait belle – plus que d’habitude, si c’était possible. J’avais déjà été dans cette ville, mais elle ne m’avait pas semblé aussi lumineuse, si pleine de recoins spéciaux.

Nous volions tous dans notre nébuleuse, d’une rencontre à une autre, d’une embrassade à une autre, d’un verre à un autre… et parmi les moments magiques que nous offrait la ville et l’authentique jouissance que nous sentions, tout a acquis une couleur pléthorique. Cependant, ces derniers jours, ont également commencé les adieux, dont le mien, ceux du Chemin, des gens, de Saint-Jacques.

… Les moulins semblent si près… le train arrive presque à Burgos – aussi facilement que ça : en 7 heures, il a dé-marché ce qui a moi m’a pris plus de trois semaines, avec ses nuits, ses jours, ses rires, ses pleurs…

Le paysage de Castille semble avoir changé : elle a désormais l’air plus sec, aride, plat, d’un plateau interminable… mais je t’ai vue, dans tes verts, Castille, je t’ai vue…

Dans mon train, il est presque impossible de trouver la paix. L’un parle de façon grandiloquente et excessive sur les peines de ce pays : « Felipe González a fait des droits des travailleurs du papier pour se torcher le cul », son ton, ses mots, son langage, heurtent mes oreilles et je me demande si je suis prête à revenir dans le monde réel… lui qui a continué à tourner pendant que j’étais plongée en moi-même… c’est ainsi que me manquent avec une profonde mélancolie mes jours pleins de contemplation de par les chemins verts.

Le train accélère, je ne sais à combien de km/h il va… mais c’est trop rapide pour que j’assimile que je reviens au monde réel… lui qui a continué à tourner pendant que j’étais plongée en moi-même.

Les moulins continuent de faire tourner mes ailes. Ils me rappellent tous les pas que j’ai faits sous son ombre. Ils me rappellent qu’à chaque pas, mon esprit grandissait vers l’intérieur et vers l’extérieur, à la rechercher de tout ce que je ne veux plus dans mon monde.

Les moulins continuent de faire tourner leurs ailes et me rappellent que la force acquise en étant exposée au Chemin est ce qui est nécessaire pour s’insérer dans le monde réel… lui qui a continué à tourné pendant que j’étais plongée en moi-même.

Je pense au coucher de soleil que j’ai vu hier à Finisterre. Lui qui, beau dans sa totalité, m’a servi comme adieu à tous ces jours passés à marcher…

Je respire en sachant que je reviens vers ce qui a été ma maison lors de ces dernières années : les bras de Cédric. J’y chercherai le réconfort à ce dépit, j’y raconterai mes histoires encore et encore, j’y chercherai les mots d’amour pour que la vie en rose soit une réalité… j’y serai heureuse d’être rentrée…

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Jour 38… J-0…

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De O Pedrouzo à Saint-Jacques-de-Compostelle
20kms. 4,5h.

Olenka in Santiago

 

¡Bienaventurée tu es, pèlerine, parce que tu as découvert que le Chemin commence quand il finit !
Bendiciones del Peregrino

*

Le bon souvenir
José Hierro

Ce moment qui flotte
nous touche avec son mystère.
Nous aurons toujours le présent
brisé par ce moment.

Joue de la vie ses mains
et jour de ses instruments.
Peut-être allume-t-elle la musique
seulement pour qu’on oublie.

Mais il y a des choses qui ne meurent pas
et d’autres qui n’ont jamais vécu.
Et il y en a qui emplissent tout
notre univers.

Et il n’est pas possible de se libérer
de son souvenir.

*

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Combien d’étapes je m’étais demandé « comment pourrai-je exprimer mon bonheur quand j’arriverai à Saint-Jacques-de-Compostelle »… Je savais que j’aurais un blanc, que les mots sont finis.

38 jours plus tard, 775 kms parcourus, l’Espagne traversée d’un extrême à l’autre… je suis arrivée aujourd’hui au km 0 de mon aventure.

J’ai été exposée dans tous les sens. Comme femme dans ma solitude, comme petite pierre face à la nature, et même dans l’intimité de mon journal.

Comme je le rêvais, je suis arrivée à la place Obradoiro sans être accompagnée, bien que je n’étais pas seule ; j’ai connu tant de personnes merveilleuses, tous des êtres chers et des amis qui m’ont accompagnée, et comme le dirait ma grand-mère : Matthieu, Marc, Luc, Jean et maintenant Jacques…

Plus de 150 instantanées, 100 autres à révéler, des tas de pages écrites dans mon journal : tout ça configure ma Compostelle.

Mon corps est devenu mon allié et m’a permis de vivre une nouvelle naissance… derrière-moi, dans les centaines de côtes, de montagnes, de plaines parcourues, sont restées les peurs et les tracas ; je les ai laissés là-bas, pas pour qu’ils s’en aillent avec un autre pèlerin, mais pour qu’ils y restent et se diluent avec le vent.

Me voilà, prête pour la rencontre avec ma prochaine aventure, celle avec laquelle cela fait longtemps que j’ai un rendez-vous qui m’attend ; je ne connais ni son nom ni sa forme, mais je sais que je suis prête.

Me voilà, mince en poids, mais avec les yeux obèses d’avoir vu autant de choses.

Me voilà, étant.

Me voilà, comprenant que Saint-Jacques n’est pas la fin d’un Chemin, mais le commencement d’une nouvelle manière de marcher.

Me voilà, vivant.

*

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Les remerciements

Mon chemin, cette belle aventure a dans le cœur quelques remerciements à faire…

A cette force embrasseuse, irrésistible et sublime qui ne m’a pas désemparée et m’a remplie de passion pour la vie. Cette énergie en laquelle je choisis de croire nue de religions et d’impositions et que je reconnais dans les petits miracles de la nature et en moi-même, me remplissant de lumière et d’amour.

A tous ces pèlerins qui ont fait partie de mon Chemin et qui m’ont permis de faire partie du leur. Qui ont pris soin de moi, m’ont consolée, quand j’en avais besoin, ou qui ont ri à mes blagues, ont admiré mes photos, dégusté mes plats… En particulier : Isabella (Puerto Rico), Carlo (Italie), Jorge (Espagne), Marcia (Grèce-Australie), Franca et Angela (Italie), Olivier (France), Quique, Silvia, Moncho et Fina (Espagne), Angelo et María (Portugal), les Suisses charmantes, Masuko et Masuro (Japon), Marco (Italie), el Team Calavera: Marga (Espagne), Joao (Portugal), Micael (Bélgique), Tim (USA), Carolina (Colombie), Elio (Italie), Leopold (Pologne); Shun et Yutaka (Japon), Suzanne (Allemagne), Gianine (Pays-Bas)… à tous je leurs souhaite qu’ils aient un Chemin heureux et une belle vie, j’espère qu’on se reverra.

A tous les volontaires qui ont pris soin de mon Chemin, ceux qui à peine te voient arriver t’enlève le sac des épaules, te soignent les pieds, t’embrassent vigoureusement en disant au revoir, ceux qui m’ont fait me sentir chez moi, ce qui m’ont ouvert les yeux pour que je regarde au-delà du guide… à tous ceux qui maintiennent vif le vrai esprit du Chemin et qui continuent de le rendre digne de leur présence.

A toute la famille et aux amis-famille, à toutes vos prières, demandes, bon voeux, poésie, mots d’encouragement, vous avez été comme des lucioles dans les moments d’obscurité. Merci d’avoir été là, de vous être laissés toucher, rire, pleurer avec cette aventure.

… Et finalement je remercie et dédie le Chemin à Cédric Hernandez, mon compagnon de vie, de voyages et d’aventures. Merci de m’aimer et d’aimer ce projet sans mesquinerie, sachant que tu aurais énormément aimé parcourir les mêmes terres avec moi. Merci de faire de moi ta priorité, de me consoler quand je défaillais et de m’imprégner de cette force de loup qui fait face à tout. Merci de me laisser être, sinon ton Itaque, ton aventure parce que tu es la mienne…

*

… et bien que je continue de penser comme The Kinks que « je ne sais pas où je serai demain », ma bande-son a changé.

Je vous embrasse à tous et bon chemin.

Donne-moi la main et allons faire le tour du monde !

Je continue de marcher…

Jour 37… J-1

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De Ribadiso do Baixo à O Pedrouzo
22kms. 4horas. (A 20kms de Saint-Jacques)

Jour 37

… ce jour où j’avais défendu ma thèse de licence ou de doctorat… ce jour où je me suis diplômée à l’Aula Magna… ce jour où je me suis mariée… celui où j’ai été baptisée…

Aujourd’hui, j’ai passé la journée en ayant une sensation similaire à celle que j’ai eu le jour avant tous ces événements. Les moments où je marchais seule, je devenais un cumulus de larmes, de nostalgie et de nerfs.

Même si j’essaie, dans un acte de rébellion, de ne pas regarder les kms qui restent, je m’approche toujours un peu plus…

L’anxiété collective se sent dans l’atmosphère. Presque tous se lèvent à 4h du matin. Tous veulent être le plus près possible. J’ai commencé à craindre de devenir comme tout le monde, à avoir peur d’arriver à la messe, de ne pas arriver à temps… à… à… à… etc.
Je me suis obligée à terminer mon étape sans faire trop de kilomètres pour la santé de mon corps. 22 kms étaient suffisants et j’avais envie d’arriver à Saint-Jacques après une étape de plus, comme tous les jours. Mais je n’ai pas pu éviter d’entrer dans le tourbillon.

Je respire. Je pense à la façon qu’a eu le Chemin de me toucher. Je me rends compte que peut-être que je n’ai pas toutes les réponses à toutes les questions existentielles, à toutes les questions transcendantales….
Tant de fois est passé par la tête l’image de l’arrivée.

Je respire. Je pense à la phrase « Laisse Saint-Jacques arriver à toi », je la répète dans ma tête, je la garde dans mon cœur.

Je respire encore et encore. Je cherche la paix des arbres, la quiétude des beaux souvenirs. Je laisse la fatigue faire son travail et relaxer mon corps.

Je respire… demain, j’arriverai à Saint-Jacques.

Jour 36… J-2

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De Ponte Campaña à Ribadiso do Baixo
21kms. 6,5h. (A 42 kms de Saint-Jacques)

Jour 36

L’eau coule et court sous le pont, telle l’encre de chaque tampon qui a imprégné mon passeport de pèlerin. Jusqu’aujourd’hui, je compte 58 tampons qui racontent l’histoire de tous ces lieux où j’ai dormi, mangé… toutes ces églises que j’ai visitées… Sur ce bout de carton, plus que de l’encre sur du papier, il y a un avant et un après. Il y a le souvenir d’une expérience mais aussi la construction d’un présent.

La question qui s’impose en ce moment : « Que feras-tu quand tu arrives ? Tu vas pleurer ? » Des questions suivies de… « Mon Dieu, nous ne sommes qu’à deux jours d’arriver, et ça sera déjà fini. »

Je ne sais pas si je passe par un moment de négation, mais je ne veux pas répondre à ces questions. Je lutte pour ne pas voir les indicateurs qui montrent le compte à rebours jusqu’à Saint-Jacques. Je ne veux rien qui me distraie de chaque pas que je fais.

Le vent frais souffle doucement après une chaude journée. La rivière coule. Les oiseaux chantent et je regarde le ciel bleu en pensant à tout ce que j’ai marché jusqu’ici. Une petite truite saute dans la rivière et je devient folle d’émotion. Je suis dans un autre petit village perdu où je ne serais peut-être jamais arrivée si ce n’était pour le Chemin.

Je contemple les arbres et je pense qu’eux ne savent rien de la fin. Ils se laissent bercer par le vent, se laissent manipuler par les oiseaux, se mouillent avec la pluie, vivent sans questions, et grandissent quelques millimètres par an, dépendant de leur souche. Les arbres ne savent rien de la fin… les rivières ne savent rien de la fin… les oiseaux ne se posent pas de questions…
Les pieds qui m’ont emmenée ici…
Les tampons qui me rappellent les jours vécus… les mots…

Courir.
Courir derrière ses mots et ses idées.
Courir après ses cris.
Retenir ce qui s’échappe.
Ecrire pour na pas oublier.
– Martine Delerm. Papier de Soi.

Jour 35… J-3

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De Gonzar à Ponte de Campaña.
24kms. 7h.

Jour 35

ELLE…

Elle est entrée dans le bar… et tel un ouragan…

– J’ai trouvé la technique, oui monsieur !

Tout le monde dans le bar sourit, comme si tous la connaissaient.

– Eh bien oui. Je suis arrivée à Portomarin, dit-elle, me demandant si j’allais rester là. C’étaient peu de kilomètres, mais le village était joli… même si je pouvais marcher un peu plus. Alors je me suis dit « je vais essayer une nouvelle technique : voyons, si je prends du vin avec une assiette de poulpe, où je finis… »

Tout le monde dans le bar écoute attentivement.

– J’ai trouvé une copine de vins et tapas, continue-t-elle, et je lui ai dit « moi, dans 30 minutes, je sors ». Je me suis assise, et dégusté le 1er albariño, le 2ème, puis est arrivé le poulpe et le contre-coup du vin me faisait me dire « il vaut mieux rester ». Alors après avoir terminé la bouteille, ma copine allait continuer et moi j’allais dormir… En arrivant à l’auberge, j’ai vu l’heure, il était très tôt, alors pourquoi ne pas continuer avec le plan original… pourquoi ne pas reprendre le chemin ? Alors je ne me suis pas enregistrée et après, ce que je peux vous dire, c’est que j’ai eu les meilleurs et plus rapides 8 kms de tout le Chemin. Il faisait soleil et chaud, il était très probable que je ne trouverais pas où dormir, mais rien de tout ça ne m’effaçait le sourire sur le visage. Je suis heureuse, pléthorique et tout à fait sûre que j’aurais pu faire 10 kms de plus. Alors, mes amis, même si c’est un peu tard que je l’ai découvert, je l’affirme : avec du pain et du vin se fait le chemin !

Tous ont ri, et presque applaudi.

Elle est très impulsive, très passionnée, cependant, elle a toujours besoin d’être encadrée, organisée, et c’est pour ça qu’elle se sentait si heureuse parce qu’elle s’était rendue compte que les choses pouvaient aller très bien sans tant de planification, en dépassant ses propres limites et tout simplement en vivant.

Elle marche toujours avec le sourire, quel que soit le temps qu’il fait… certains l’ont vue parler à son ombre :

– Ma belle, se disait-elle, t’es en train de récupérer une ligne impressionnante.

Ce à quoi son ombre lui répond :

– Toi t’exagères et t’hallucine, mais c’est vrai que ça fait bien longtemps que je ne t’ai pas vue sourire ainsi.

Elle n’écoutait plus : elle chantonnait une chanson qu’elle s’était inventée d’un mélange d’une chanson de victoire de rugby et de paroles absurdes.

Elle devient une enfant quand elle voit une vache qui marche sur les prés ou une chèvre qui s’approche d’elle : elle saute comme si c’était la première fois dans sa vie, elle crie, elle prend des photos et court épouvantée au cas où une de ces bestiole venait à s’approcher un peu trop près.

Mais elle redevient une femme quand, avant que poigne l’aube, elle affronte les forêts solitaires pleines de brouillard… elle s’agrippe à son bâton et dit – se dit – « En avant ! »

Elle dort avec moi toutes les nuits et son explosion d’énergie est telle que parfois je ne trouve pas le sommeil ; alors je la laisse parler, j’accepte tous ses reproches vis-à-vis de mon hypocondrie, des mes mal-êtres, de mes plaintes ; je la vois écrire et au final, peu à peu, la fatigue prend le dessus et elle se met à ronfler comme personne. Je la contemple jusqu’à dormir moi-même. A 05:55, elle me réveillera comme tous les jours depuis 35 jours : « Allez, allez, il faut se mettre en route…! » Alors je m’habille et je la suis…

Elle et moi marchons vers Saint-Jacques… même si je devrais dire vers la vie…